Alleluia: Historique et Pratique

AllelujaHistorique

Les Alléluias sont nés à la fin du IVe siècle. Ils ont connu un développement durant les siècles qui suivirent et qui, à Rome, correspondaient à une période d’influence byzantine.
A l’origine, l’Alléluia est une acclamation hébraïque. Chez les Juifs, elle fut utilisée avec une vingtaine de psaumes qu’on appelle les psaumes d’Alleluia (psaumes 104 à 106,110 à 118,134 à 135, 145 à 150). Cette acclamation était liée, à l’origine, à la considération des merveilles du Seigneur, ce qui en fait un cri de joie.

Les chrétiens l’ont également utilisé en référence à la description de la liturgie céleste d’après le témoignage de l’Apocalypse.

Cependant, contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’intégration de l’Alléluia dans la liturgie chrétienne ne doit rien à d’hypothétiques influences de la Synagogue sur le culte chrétien; d’ailleurs, au IVe siècle, cela n’était plus possible. Au contraire, « l’emploi chrétien de l’acclamation, de la jubilatio puis du chant Alléluia vient de l’usage intensif que les chrétiens font du psautier dans le culte, de leurs interprétations du psaume 117 (Le psaume de la résurrection: Haec dies quam fecit Dominus) et de leur invention de la psalmodie responsoriale. Point n’est donc besoin d’aller chercher des influences extérieures pour expliquer ce processus. De fait, l’usage du chant liturgique de l’Alléluia est attesté par plusieurs Pères du IVe siècle, Augustin, Ambroise, Jérôme.»1

On sait également par saint Augustin que l’Alléluia du dimanche de Pâques comprenait le verset du psaume 117 Haec dies quam fecit Dominus, ce qui fait de l’actuel Alléluia romain du dimanche de Pâques Pascha nostrum une pièce postérieure et par conséquent non originelle.2

Retenons que l’Alleluia fut, au début, – en tant que chant de l’Alleluia tel que nous le connaissons aujourd’hui 3 – un chant réservé à Pâques et au Temps pascal; ce n’est que petit à petit qu’il fut étendu au reste de l’année liturgique, le Carême étant exclu. En effet, la liturgie du Carême avait déjà atteint son développement au moment de la formation des Alleluia; ceux-ci n’ont donc jamais pénétré le temps pénitentiel. C’est improprement que l’on écrit parfois que «le Trait remplace l’Alleluia pendant le Carême». En fait, ce chant n’a jamais pénétré dans le Carême et n’a donc jamais été remplacé par le Trait. Au contraire, en sortant du Temps Pascal, l’Alléluia a chassé les Traits là où ils existaient, sauf du Carême.

Structure de l’Alleluia

L’Alléluia est composé de trois parties qui se sont rajoutées les unes aux autres :

1. l’acclamation

2. le jubilus ou jubilatio

3. le verset.

L’acclamation concerne les trois premières syllabes et est en général un chant syllabique. Étant de formation postérieure à l’office, certaines acclamations sont tirées d’Alléluia de l’Office.

L’origine précise du jubilus est un sujet disputé parmi les spécialistes. Il semblerait qu’au début, un refrain populaire ait répondu à la psalmodie du soliste,4 et qu’au courant du IVe siècle, pour permettre aux fidèles de répondre aux solistes, on a tout simplement fait de la vocalise du soliste un chant syllabique que chacun pouvait chanter par cœur. «Pour ce faire, on a placé une syllabe du nouveau refrain sur chaque note du jubilus du soliste, obtenant ainsi un refrain populaire facile à reprendre. Quant au lien entre ces refrains primitifs et l’Alléluia, il faut aller le chercher dans le fait que cette acclamation biblique était à la fois facile à retenir par les fidèles, non spécialistes, est bien adapté pour le Temps Pascal et la liturgie des dimanches ordinaires. Le jubilus pouvait ainsi devenir refrain populaire de la psalmodie via une syllabisation».5

L’histoire de la liturgie nous montre là le souci de l’Eglise d’impliquer les fidèles dans le chant responsorial entre les lectures de la messe.

L’union de ces différents éléments donna naissance à l’Alléluia de la messe.
« Au début du VIe siècle environ, ces deux éléments, jusque-là entièrement distincts, ont fusionné et on leur a ajouté un verset psalmique. L’acclamation (le début de l’Alleluja) provenait d’antiennes de l’Office ; la jubilatio était issue du psaume responsorial de la messe ; quant au verset, il semble avoir été ajouté pour deux raisons : d’une part, par analogie avec le Graduel, sorte de fausse fenêtre pour la symétrie ; d’autre part, parce qu’il fallait bien qu’il y ait au moins un verset, puisque l’acclamation et la jubilatio constituaient un refrain : pour pouvoir reprendre un refrain, il faut au moins un verset. C’est pour cette même raison que la Schola cantorum qui a fortement réduit les psaumes responsoriaux et les a transformés en Graduel, leur a cependant laissé un verset ; faute de quoi le refrain n’aurait plus servi à rien.

L’Alléluia de la messe est donc né d’un processus de cristallisation très complexe.
Ces versets, comme la jubilatio, font de très nombreux emprunts à des Traits, à des Graduels, à des Offertoires, comme il est normal pour un genre liturgique relativement tardif : il cite tous ses prédécesseurs, exactement comme les Offertoires citent les versets des Graduels. C’est ainsi que la liturgie fait du neuf avec de l’ancien.» 6

Les versets de l’Alleluia

Concernant le choix du psaume, on ne s’est pas beaucoup préoccupé d’utiliser les psaumes d’Alléluia comme verset pour fabriquer les Alléluias de la messe. L’idée en est venue que sur le tard, lors de la conception des Alléluias des dimanches après la Pentecôte (à partir du XIe siècle). Le choix des textes de l’Alléluia a été dicté par les habitudes et donc en fonction des attributions traditionnelles : le psaume 88 pour les papes, le psaume 44 pour les vierges, les psaumes 46 et 67 pour l’Ascension, le psaume 2 pour Noël, etc.

De façon générale, on peut remarquer que chaque messe contient une idée dominante ; cela se concrétise par l’emploi d’un psaume particulier. Ce psaume généralement utilisé à l’introït peut se retrouver dans l’Alléluia.

Conclusion

Tels que nous les connaissons aujourd’hui, les Alléluias de la messe peuvent être datés aux environs du VIe siècle. Leur formation a suivi un processus assez complexe: l’intonation est tirée le plus souvent des Alleluia de l’Office, la jubilatio provient du psaume responsorial de la messe, et le verset a été rajouté afin de donner un sens au refrain.
 
Bernard Lorber
© Association Sacra Musica
 
1 Du chant romain au chant grégorien, Philippe Bernard, éditions du Cerf, p. 589
2 Et puisque nous y sommes, remarquons également que le Confitemini Domino de la vigile pascale n’a aucune antiquité. De plus, on se demande comment on a pu rajouter un Trait après le triple Alléluia de la vigile pascale : l’association de deux chants antinomiques et l’inversion de l’ordre habituel des chants fait partie de ces bizarreries que le temps a entérinées.
3 Il faut en effet distinguer l’usage liturgique de l’Alléluia, durant la messe, avec l’emploi que les fidèles peuvent en faire en privé, lors de circonstances familiales : funérailles, mariage. Suivant les temps et les lieux, certaines traditions implémentaient l’usage de l’Alléluia en tant qu’invocation ou oraisons jaculatoire.
4 Refrain extrait du psaume, c’est ce qu’on appelle la psalmodie responsoriale.
5 Philippe Bernard, p. 596
6 ibidem, p. 597