27 Décembre: Saint Jean l’Evangéliste

Table des matières

La répétition de l’introït In médio

 

 

Commentaires des pièces de cette messe par Dom Baron.

INTROÏT

LE TEXTE

Au milieu de l’Eglise,
Elle (la Sagesse) a ouvert la bouche de celui-ci.
Et il l’a rempli, le Seigneur,
De l’esprit de Sagesse et d’intelligence,
Et d’un vêtement de gloire, il l’a revêtu.
Ps. Il est bon de louer le Seigneur,
Et de chanter ton nom, ô Très Haut. Eccli. XV, 5. VI, 32. Ps. XCII, 1.

Cet Introït a bien été composé pour Saint Jean ; ce n’est qu’au XIIe siècle, lorsqu’a été formé le Commun des Saints, qu’il y a été inscrit pour les messe des Docteurs.

Dans l’Ecclésiastique, ces paroles sont au futur. Il s’agit des qualités que la Sagesse procurera à celui qui sait la recevoir et la cultiver. Elle l’inspirera lorsqu’il aura à parler dans l’assemblée – c’est le sens qu’il faut donner à ecclésiae – elle lui donnera de savoir juger droit et le revêtira de gloire, en lui donnant de jouir de l’estime des hommes.

L’Eglise en fait ici une louange à Saint Jean. Il n’y a eu qu’à mettre les verbes au passé et l’application s’est trouvée parfaite ; Saint Jean est bien en effet celui à qui il a été donné de parler avec le plus de profondeur des mystères de Dieu et il n’a pu le faire que sous l’inspiration des dons de sagesse et d’intelligence dont le Seigneur l’avait rempli. Quant au vêtement de gloire dont il a été revêtu, on ne saurait dire pleinement ce qu’il est, mais le fait d’avoir été celui que le Sauveur aimait entre tous et à qui il confia sa Mère, lui a certainement valu durant sa vie et lui vaut de génération en génération, de la part des hommes, une très particulière vénération. Il est d’autre part raisonnable de croire que le seigneur, à qui il fut fidèle jusqu’à la Croix, lui a donné de participer à sa gloire à un degré peu commun.

Le Psaume est comme une exclamation de l’Eglise qui contemple la béatitude de Saint Jean louant Dieu dans les splendeurs de l’éternité. Autrefois, lorsqu’il était chanté en entier, les derniers versets sur le Juste qui se multiplie comme le palmier, s’appliquait tout naturellement à la belle vieillesse de l’Apôtre.

LA MÉLODIE

Elle est très sobre, comme une parole que l’on se dit à soi-même lorsqu’on évoque le souvenir d’un être cher. C’est bien ce que fait l’Eglise ici : elle se recueille devant l’admirable figure de Saint Jean et se redit à elle-même très simplement la parole inspirée en quoi se concentre toute sa pensée. Quelques notes lui suffisent : une sorte de récitatif paisible et doux auquel les tristrophas répétées sur la dominante communiquent quelque chose de l’immobile contemplation.

Elle s’anime quelque peu, au début de la seconde phrase, à l’idée de la grâce insigne que le Seigneur a faite à Saint Jean, en le remplissant de la Sagesse et de l’intelligence qui font toute sa gloire et dont elle a tant profité. Et implévit éum … C’est le centre de la louange. Le mouvement arsique se développe sur l’accent de implévit et va s’épanouir sur éum en un pressus qui donne à ce pronom l’éclat particulier que mérite le nom du Saint dont il tient la place. Il rebondit ensuite délicatement sur sapiéntiae et intelléctus qu’il marque d’un salicus, et s’achève en une cadence d’une mystérieuse profondeur.

Il y a une nuance d’admiration sur gloria, puis, sur induit une affirmation pleine d’autorité ; les doubles notes sont des bivirgas.

Les tristrophas de la première phrase seront légères et tout le mouvement très souple. Mette quelque ardeur dans l’arsis de implévit éum ; le pressus du sommet un peu élargi. La distropha de intelléctus en léger crescendo vers la première note de a clivis. Bien appuyer les bivirgas de induit.

GRADUEL

LE TEXTE

Il courut, le bruit, parmi les frères,
Que ce disciple ne mourrait pas.
Verset.Mais : « Ainsi, lui, je veux qu’il demeure, jusqu’à ce que je vienne. »
Toi, suis-moi. Jean XXI, 23, 22.

Pour avoir le sens de ce texte, il faut le lire en entier dans l’Evangile, car il est ici fort mal coupé. C’est l’interrogatoire que Notre Seigneur fit subir à Saint Pierre après la Résurrection : Pierre, m’aimes-tu ? … Il lui prédit, à la fin, le martyre de la croix et ajoute : suis-moi. Voyant Saint Jean près de Notre Seigneur, Saint Pierre pose alors une question quelque peu indiscrète : « Et celui-là ? » à quoi Notre Seigneur répond par une parole mystérieuse : « Si je veux que, lui, il demeure jusqu’à ma venue (c’est-à-dire jusqu’à mon avènement glorieux), que t’importe ? Toi, suis-moi. » Cette dernière parole avait fait impression chez les premiers chrétiens, si bien que, voyant l’Apôtre Bien-aimé survivre à tous les autres, ils en étaient venus à croire qu’il ne mourrait pas. A l’encontre de cette rumeur, Saint Jean, à la fin de son Evangile, rétablit ainsi la vérité : « Jésus cependant n’avait pas dit : il ne mourra pas, mais : si je veux qu’il demeure etc… » C’est le début de cette dernière phrase qui manque dans le Verset.

C’est évidemment comme une louange à Saint Jean que ce texte a été choisi pour être chanté ici. A vrai dire, si l’on s’en tient à son sens littéral, on ne voit pas bien en quoi le louent cette rumeur qu’il détruit lui-même et la parole de Notre Seigneur, simple hypothèse qui, en fait, ne se réalisa pas. Il faut aller plus loin que les mots. Le P. Allo interprète ainsi cette réplique de Notre Seigneur : « Comme Pierre représente le dévouement actif pour prêcher, convertir, porter la croix de l’apostolat et du gouvernement de l’Eglise, enfin mourir à la peine, toutes choses auxquelles sont appelés les chrétiens choisis, et particulièrement les prêtres, mais qui suivent le cours le plus variable, qui changent de forme avec les pays, les époques, les circonstances et sont remplacées par d’autres qui, tout en leur ressemblant par des analogies, ne sont pourtant jamais les mêmes ; ainsi Saint Jean d’un autre côté, dans la fondation et la vie de l’Eglise, paraît appelé à quelque chose qui ne meurt pas, c’est-à-dire ne change jamais, qui demeure inébranlable, en dehors, pour ainsi dire, du cours du temps et du flux des choses. Or c’est la contemplation… Saint Jean est devenu le type des contemplatifs et son Evangile, joint à sa première Epître, est le livre cher entre tous aux saints contemplatifs. Il représente de la façon la plus pure ce qu’il y a d’immuable dans l’existence de l’Eglise. Il est bien, au sens spirituel, celui qui ne meurt jamais, ce qui reste stable dans les vicissitudes de l’histoire et ne changera pas jusqu’à ce que le Christ revienne. » (L’Evangile spirituel de Saint Jean pp. 152, 168) « Le Seigneur le fera hériter d’un nom éternel » dit le dernier mot de l’Epître. Voilà ce que chante le Graduel : la gloire du disciple bien-aimé demeurant pour toutes les générations l’héritier du Verbe, le contemplatif éternel.

LA MÉLODIE

(V) Exiit sermo inter fratres quod discipulus ille non moriotur.

C’est la mélodie du Christus factus est du Jeudi Saint.

La gravité dont elle est empreinte s’accorde mal avec le sens littéral des paroles, il faut bien le reconnaître ; mais si on les entend dans leur sens spirituel, elle évoque fort bien le culte dont les premiers chrétiens entouraient le vieillard de Patmos et que l’Eglise lui garde. Sans compter que l’atmosphère du Jeudi Saint, dont elle est toute baignée, rappelle très heureusement la Cène et le Calvaire, où le Saint vécut les heures les plus émouvantes de sa vie et où chacun le voit comme fixé dans l’attitude qui le caractérise.

A noter, d’ailleurs, que discipulus est amené fort à point au sommet de l’arsis et que ille prend un accent de vénération qui lui donne tout à fait le ton qui convient.

Le Verset.Sed : Sic éum volo manére donec véniam : Tu me séquere.

L’adaptation ici est parfaite. Toute la joie du Christ ressuscité qui voit, dans l’avenir, l’influence de Saint jean se perpétuer, éveillant les âmes à l’amour et les guidant sur les voies de la parfaite charité, passe dans l’exaltante formule de manére avec quelque chose du souffle de gloire qu’on y trouve le Jeudi Saint lorsqu’elle chante le Nom au-dessus de tout nom que le Christ a reçu du Père pour son obéissance… Héritier d’un nom éternel… Saint Jean aussi.

On pourrait seulement regretter que l’on n’ait pas donné à la formule donec véniam son plein développement.

Quelle évocation splendide c’eût été de l’Haec dies et de la joie triomphale du second avènement ! mais sans doute a-t-il voulu que manére fût seul en relief.

La formule finale fait contraste. Elle est toute imprégnée de gravité et de tendresse. Il ne semble pas que ce fut sur ce ton que notre Seigneur parla à Saint Pierre en la circonstance, mais si, passant par delà la lettre, on prend conscience de tout ce qui est demandé par le Christ à ceux qui le suivront sur la Croix, il faut reconnaître qu’elle est bien dans le ton.

Tout le mot fratres sera retenu. La double note avant le premier porrectus de discipulus est une bivirga : la bien appuyer, de même que le pressus de ille.

Non est marqué d’une très belle forte nuance d’autorité : on appuiera donc fortement et le salicus et les trois notes du sommet avec deux répercussions ; les manuscrits portent : t b : retenez bien. Par contre, les distrophas de moritur seront légères.

Dans le Verset, allonger la première note ; c’est la seule façon de rendre le texte intelligible. La troisième note qui suit le premier quart de barre, une virga précédent le climacus du sommet, est allongée. Les climacus de la fin de la phrase légers ; de même la cadence de véniam.

ALLELUIA

LE TEXTE

Celui-ci est le disciple même
Qui témoigne de ces choses.
Et nous saurons que véritable est son témoignage. Jean XXI, 24.

Ce verset est le dernier de l’Evangile selon Saint Jean. Il semble bien qu’il ne soit pas de Saint Jean lui-même mais de ceux qui le prièrent d’écrire son Evangile. Il n’importe d’ailleurs.

L’Eglise ici se l’approprie et en fait un nouveau couplet à la louange du Saint.

LA MÉLODIE

C’est encore celle de l’Alleluia de la Messe du jour de Noël. On y trouve les trois phrases psalmiques, avec leurs intonations, leurs teneurs et leurs cadences. L’adaptation est bonne ; les mots importants étant bien en place. La première phrase est particulièrement heureuse, on y met tout naturellement un bel accent de louange pour le disciple bien-aimé. La troisième s’accommode aussi parfaitement de la ferme assurance que comporte ce témoignage solennel ; notez le salicus de scimus et les distrophas, puis le pressus de vérum. La finale amène fort à propos sur éjus, qui représente le nom du Saint, la formule qui dans la mélodie a le plus d’éclat.

La formule de perhibet sur la seconde syllabe du mot place la dernière en grand danger de perdre une partie de sa valeur; l’allonger légèrement.

OFFERTOIRE

LE TEXTE

Le juste comme un palmier fleurira,
Comme le Cèdre qui est sur le Liban il se multipliera. Ps. XCI, 13.

Il est à peine besoin de le commenter tant il est simple. Il faut bien note toutefois que c’est au palmier en fleur que le Juste est comparé, – on compte, paraît-il, jusqu’à 200 000 fleurs par palmier – et au cèdre qui a atteint toute sa taille, laquelle est considérable en particulier dans les montagnes du Liban. Le sens de la comparaison est donc que le Juste produira, par ses œuvres, beaucoup de fruits et que, demeurant vivant par sa doctrine et son exemple en chacune d’elles, il se développera en quelque sorte comme l’arbre par ses branches couvertes de feuilles, de fleurs et de fruits.

Dans le cadre de la fête de Saint Jean, il faut considérer cet Offertoire comme une sorte de contemplation. L’Eglise, après tout ce qu’elle a entendu de Saint Jean dans l’Evangile qui vient d’être lu, interprétant en particulier le mot de Notre Seigneur « Je veux qu’il demeure, jusqu’à ce que je vienne » dans le sens de son influence qui continue, se chante à elle-même ce verset de psaume, en qui elle trouve l’expression de son admiration et de sa louange. (Cet Offertoire aurait été composé pour la fête de Saint Jean Baptiste et appliqué à celle de Saint Jean l’Evangéliste. Il passa au Commun des Docteurs, quand fut constitué le Commun des Saints.)

LA MÉLODIE

L’intonation a bien le caractère paisible, recueilli, d’une contemplation ; notez le mouvement retenu dès le début et la tristropha qui prolonge le mot ; l’âme est fixée immobile sur l’image du Juste. Quand la mélodie prend du mouvement et de l’étendue sur ut palma, sur sicut cédrus, sur in Libano, rien ne change. C’est toujours le Saint que l’âme contemple et chante ; seulement, à l’évocation du palmier en fleur et du cèdre immense, auxquels le texte le compare, elle s’exalte dans sa contemplation, et le chant suit l’image.

Ce serait donc une erreur de ne chercher dans cette mélodie qu’une évocation musicale des arbres et des montagnes. Qu’on se plaise à la voir s’élever avec la grâce du palmier, la majesté du cèdre, la puissance des monts, d’accord ; mais qu’on entre un peu plus profondément dans le sens liturgique du texte et l’on y découvrira aussi sans peine l’ardeur de l’Eglise qui s’exalte avec les arsis et redescend toute recueillie et pleine d’admiration sur les thésis ; sur celle de palma, si doucement posée sur le fa, qui rebondit retenue par le si b, et qui s’achève paisible et joyeuse sur les rythmes pleins de grâce de florébit, avec une nuance délicate d’admiration sur la tristropha ; sur celle de cédrus se posant un instant sur la cadence du IVe mode, toute admirative elle aussi, après l’audacieux élan de l’arsis, et rebondissant allègre et souple sur Libano pour s’étaler en la même cadence que florébit, après avoir descendu en un rythme sûr et mesuré les pentes du Liban ; enfin sur le long développement de multiplicabitur qui prolonge l’idée principale en un bercement méditatif.

Ainsi du commencement à la fin cette mélodie exprime la contemplation de l’Eglise qui admire et qui loue le Juste dans l’épanouissement de sa gloire.

On veillera à garder tout au long de l’Offertoire le mouvement de l’intonation.

Le torculus de ut recevra une certaine ampleur et portera la voix dans un crescendo progressif et très lié sur palma où elle s’épanouira sans éclat. Après une répercussion délicate sur la virga, les trois notes qui relient le do au fa seront légèrement ralenties préparant la double répercussion qui précède le quilisma. Légèrement élargi aussi, le mot florébit.

Il y aura une reprise de mouvement sur sicut dont les podatus seront posés, leur première note un peu allongée. Tout le mot cédrus très lié, sans ralenti ; quae in Libano lui sera rattaché de très près, on mettra un accent de ferveur sur la triple note du sommet ; les deux premières sont des virgas épisématiques. La descente sera retenue, sans être élargie. De même multiplicabitur.

COMMUNION

LE TEXTE

Il courut le bruit parmi les frères
Que ce disciple-là ne mourrait pas.
Mais, il n’avait pas dit, Jésus : il ne mourra pas
Mais : ainsi, lui, je veux qu’il demeure
Jusqu’à ce que je vienne. Jean XXI, 23.

Comme on le voit, c’est encore le texte de l’Evangile qui a servi au Graduel, mais il est ici au complet. Seule la dernière partie « Quant à toi, suis-moi » a été omise et c’est bien ainsi, car elle ne concernait pas Saint Jean.

Le sens liturgique est le même : louange à l’apôtre bien-aimé ; il n’y a aucune allusion à la communion.

LA MÉLODIE

Elle est beaucoup plus simple que celle du Graduel. C’est une antienne, c’est vrai ; mais l’atmosphère même est différente ; pas de gravité, ni d’emphase, de la joie plutôt.

Elle est composée de trois phrases. Mis à part Exiit sermo inter fratres qui est comme une courte introduction, elles ont à peu près la même forme : une arsis légère, la même sur quod discipulus, et non dixit, sed sic éum volo ; une thésis, la même sur non moritur dans les deux premières phrases et qui demeure très apparentée sur donec véniam dans la troisième.

L’intonation, quelque peu mystérieuse, garde son influence sur toute la première incise, qui demeure bien dans le ton discret du IIe mode, mais, tout de suite après, sur discipulus ille, la joie emporte le mouvement et l’établit nettement dans le VIIIe mode par la belle cadence souple, ferme, heureuse de non moritur ; non sans avoir souligné ille d’un épisème horizontal qui y met l’affectueuse vénération de l’Eglise pour le saint Apôtre. Elle s’élève à nouveau et avec plus d’élan encore sur et non, s’incline avec grâce sur dixit Jésus et, après la même cadence sur les mêmes mots non moritur, repart du même élan. Cette fois, c’est la parole du Christ. Il entre lui aussi dans la joie ; la joie de laisser au monde comme un guide dans l’amour celui qu’il aimait plus que les autres, et qui l’a aimé jusqu’à la Croix. Il se complaît sur manére ; la formule, assez commune, se nuance ici d’une douce gravité qui se continue d’ailleurs jusqu’à la fin, enveloppant la dernière incise de discrétion et de mystère, avec un bel accent de désir sur véniam.

Chanter simplement dans un rythme léger. Bien balancer les cadences de non moritur sans les alourdir. Retenir avec grâce dixit Jésus, c’est le Domine Jésus de la Communion de Saint Etienne ; il faut l’envelopper de la même tendresse.

 

Epître, évangile et préface chantés de cette messe, voir ici