Dimanche dans l’Octave de la Fête Dieu

L’introït Factus est interprétée par la scholla Bellarmina

Table des matières

Commentaires des pièces de cette messe par Dom Baron.

LECONS DES MATINES : Naissance et vocation de Samuel I. Rois I.

EPÎTRE : l’amour de Dieu pour nous jusqu’à la mort, modèle de note charité envers le prochain (I Jean. III. 13. 18.)

EVANGILE : Parabole de ceux qui refusent l’invitation au banquet et de ceux qui sont invités à les remplacer. (Luc XIV. 16, 24.)

IDÉE CENTRALE : Il semble que tout peut se grouper, sans qu’on ait à solliciter les textes, autour de l’idée de la miséricordieuse bonté du Seigneur sans cesse penchée sur nous et toujours prête, pour peu qu’on la sollicite, ou même sans qu’on y pense, pourvu qu’on ne s’y oppose pas, à aider notre marche vers la Béatitude de l’éternité.

Evoquée déjà à Matines, dans l’épisode d’Anne la stérile à qui le Seigneur donne Samuel, elle se précise dans la collecte : « Tu ne cesses pas, Seigneur, de diriger ceux que, dans ta sollicitude, tu as établis dans ton amour ». Dans l’Epître, elle nous est présentée comme le modèle de notre charité fraternelle. « Nous avons connu l’amour de Dieu à ce qu’il a donné sa vie pour nous ; nous aussi nous devons donner notre vie pour nos frères ». A l’Evangile,  elle est en plein relief sous la figure de l’homme riche qui appelle au banquet, pour remplacer ceux qui n’ont pas accepté de venir, « les pauvres, les estropiées, les aveugles, les boiteux… ». En ce dimanche dans l’Octave de la fête du Saint-Sacrement, nous demeurons ainsi dans l’atmosphère baignée de miséricorde de l’Eucharistie.

INTROÏT

LE TEXTE

Il s’est fait, le Seigneur, mon protecteur. Il m’a tiré dehors, au large. Il m’a sauvé parce qu’il m’a voulu.

Ps.Je t’aimerai, Seigneur, ma force. Le Seigneur est mon abri, mon refuge et mon libérateur. Ps. XVII. 19, 20 – 2,3.

Ces deux versets du psaume XVII font allusion à l’un des nombreux incidents de la vie de David où, assailli par des ennemis puissants, il fut finalement délivré, « tiré au large » par le Seigneur.
L’Eglise s’en sert ici pour chanter elle aussi sa reconnaissance. Si souvent, au cours de son histoire, le Seigneur l’a tirée des mains de ceux qui voulaient la détruire ou, tout au moins, entraver sa liberté ! Avec elle nous pouvons tous dire notre propre gratitude car, en maintes circonstances, dont la plupart nous échappent, le Seigneur nous a « tirés au large », nous aussi, nous dégageant des horizons limités de la vie matérielle et nous plaçant dans les perspectives infinies de sa propre vie, tout à fait en dehors des atteintes de nos ennemis, si nous le voulons. Enfin par son sacrifice, et par l’Eucharistie qui nous en applique le mérite, il nous a sauvés. Et cela parce qu’il nous voulait : Quoniam voluisti me. Ce sont les mots les plus marquants du texte. Il faut les prendre dans leur sens strict. Il ne nous a pas gardés, protégés, sauvés parce qu’il avait quelque intérêt à le faire ; il ne nous a pas aimés parce qu’il y avait en nous quelque chose d’aimable qui l’attirait ; il nous a choisis dans un acte de sa volonté éternelle parce qu’il nous a voulus : c’est tout. Toute sa miséricordieuse bonté tient dans ce choix gratuit, pour lequel nous ne chanterons jamais assez notre reconnaissance.

LA MÉLODIE

L’intonation est toute pénétrée de joie. C’est celle du Gaudeámus, du Jubiláte, du Roráte. L’âme, dès le premier mot, exulte, toute au bonheur d’être libérée du péché et des limites étroites du monde, au large dans l’amour, fixée sur les horizons infinis de la Béatitude vers laquelle elle va. Après une nuance de vénération, qui l’incline en passant sur le mot Dóminus, la mélodie monte, en une progression ternaire légère et souple, vers la dominante  d’où elle s’élance, de plus en plus ardente, sur les doubles notes de edúxit pour s’épanouir, large et éclatante, sur latitúdinem.
La seconde phrase est tout autre. Il s’agit du salut. L’âme n’exulte plus. C’est quelque chose de si profond, de si mystérieux que cette prédestination éternelle ! Elle se replie sur son bonheur, sa joie devient toute intérieure. La mélodie, après avoir souligné ne d’un salicus atteint la tonique, par une progression descendante, en s’étendant autant qu’elle peut sur toutes les syllabes elle remonte égrenant la reconnaissance sur les neumes qui se serrent, se multiplient, s’étalent enfin en une cadence que l’âme retient autant qu’elle peut, comme si elle ne pouvait se résoudre à cesser son chant.
Le Psaume alors, par son rythme plus vif, sort l’âme de sa contemplation et la fait chanter son amour en un bel accent de tendresse heureuse.
L’intonation sera légère et Dóminus de même. Mais, dès le premier torculus de protéctor commencera le crescendo qui ira en progression discrète mais constante jusqu’à latitúdinem. Les doubles notes de edúxit et de latitúdinem sont des bivirgus épisématiques.
Retenez quelque peu le mouvement de la seconde phrase et faites la cadence finale très expressive.

GRADUEL

LE TEXTE

Vers le Seigneur, quand j’étais dans la tribulation, j’ai crié, et il m’a exaucé.

Verset.Seigneur, délivre mon âme des lèvres méchantes et de la langue rusée. Ps. CXIX. 1, 2.

Le Psaume CXIX est une prière pour être délivré des mauvaises langues. Le premier Verset. – dont est faite la première partie du Graduel – en est comme le prélude ; le Psalmiste se remémore, à titre d’encouragement, les cas où son recours à Dieu a été exaucé, puis il expose sa requête dans le second qui compose le verset.
Ce Graduel est chanté une première fois le Vendredi qui suit le Ie Dimanche de Carême après qu’on a lu à l’Épître l’histoire de Joseph. Il est là tout à fait à sa place, on le voit, après le récit de ce complot fratricide. Ici, il a aussi son sens après l’Épître qui contient les conseils de Saint Jean sur la Charité. L’Église demande d’abord de n’être pas calomniée, d’être délivrée de ceux qui sans cesse la poursuivent de leurs paroles de haine, et en particulier de celui qui, par jalousie, accuse ses membres devant Dieu jour et nuit : Satan (Apoc XII.10.). Mais sans doute demande-t-elle aussi que ses membres cessent de se déchirer entre eux et pratiquent la Charité du Christ en s’aimant les uns les autres comme il nous a aimés, miséricordieux et silencieux sous l’injure jusqu’à la mort.

LA MÉLODIE

Ad dóminum ⎜dum tribulárer ⎜clamávi et exaudívit ⎜me ⎜⎜.

L’intonation a quelque chose de grave qui enveloppe de vénération le nom divin, mais c’est une gravité toute pénétrée de bonheur ; les intervalles sont pleins et la cadence sur do bien majeure, il y a même sur la double note de Do un accent de ferveur qui avive encore la joie. Tribulárer ne fait que conduire la mélodie à la dominante, mais la montée à partir de fa sur les trois notes de l’accord parfait et la tristropha du sommet où la voix s’étale légère y font monter, toujours plus vive, l’allégresse, qui va s’épanouir à loisir sur le très beau motif de clamávi. Avec des nuances, il va de soi. Il y a entre autres sur les clivis allongées et sur la triple note qui suit comme une évocation des jours où de l’âme angoissée jaillissaient, ardents et pleins de confiance, les appels au Seigneur.

La mélodie redescend sur et exaudívit en un motif que le salicus et le pressus font particulièrement expressif. On y sent le bonheur de l’âme et, plus encore, la reconnaissance dont elle déborde au souvenir des interventions divines. C’est cette gratitude qui, sur me, s’exalte et monte vers le Seigneur ; admirable mouvement, vibrant et retenu à la fois, et qui s’achève balancé sur des rythmes d’une plénitude et d’une paix totales.
Le Verset. – Dómine libera ánimam meam ⎜a lábiis ⎜iníquis et ⎜a lingua ⎜dolósa ⎜⎜.
Par le climacus qui descend au la et les retours répétés sur le si, la mélodie, sur Dómine, comme le texte d’ailleurs, devient une supplication que la double note de ne et les épisèmes horizontaux font très pressante. Une sorte de cadence sur le la par le sol donne un instant l’impression que l’âme est apaisée ; mais, non, sur la double note – une bivirga épisématique – et sur les deux tristrophas c’est encore la plainte qui se prolonge. Il y a bien une petite remontée au ré mais l’élan retombe sur le si b et c’est dans la même atmosphère de prière suppliante, que s’achève le mot. Cette atmosphère s’alourdit encore, si l’on peut dire, sur líbera ánimam – notez les deux salicus et la tristropha de méam. La cadence, il est vrai est en fa et le motif de lábiis est celui des versets enthousiastes, comme si l’âme voulait se dégager de ce qui lui pèse ; mais il ne s’épanouit pas au fa supérieur et, sur iníquis, le motif de clamávi, qui évoquait tout à l’heure les heures d’angoisse, revient. Même les deux retombées, en fa pourtant, de lingua dolósa reçoivent, des notes longues et de la répercussion, quelque chose de pesant. L’âme, accablée sous les coups des langues mauvaises, ne peut vraiment que se plaindre et supplier.

Il faut bien se garder de faire pesante l’intonation ; la double note est bien une bivirg épisématique mais elle n’implique aucune lourdeur, elle souligne seulement le mot. Dum tribulárer suivra alors dans un mouvement léger qu’on n’aura pas à forcer. Clamávi aussi sera léger ; la triple note est une trivirga épisématique, la prolonger. Ralentissez à peine la cadence sur do.
Faites très expressif le podatus de vit dans exaudívit et retenez tout le motif de me.
Le verset sera plus lent. La double note sur do de ne dans Dómine est une bivirga épisématique, de même celle qui précède la tristropha sur fa.
Faites très expressives les clivis allongées de iníqui. La triple note est une trivirga, comme dans clamávi.

ALLELUIA

LE TEXTE

Seigneur, mon Dieu, en toi j’ai espéré. Sauve-moi de tous mes persécuteurs et délivre-moi. Psm. VII. 2.

C’est la même supplication que dans le verset du Graduel. Au lieu des mauvaises langues, c’est des persécuteurs que l’Église demande à être délivrée, mais il n’est pas de persécution sans calomnies, médisances et mensonges et ceux qui manquent à la justice par la langue sont bien des persécuteurs.

LA MÉLODIE

Nous l’avons déjà trouvée à la fête du Saint Nom de Jésus. Adaptée là à un texte de louange, elle avait perdu son caractère de prière ; nous pouvons l’admirer ici et nous laisser pénétrer et animer par ses nuances délicates.
La supplication est très humble sur Dómine Déus, mais sans contrainte, confiante même et pénétrée de tendresse ; notez plutôt le posé délicat en mi de la dernière syllabe de Dómine, le retard avant le quilisma, les pressus de déus surtout. C’est cette confiance, d’abord contenue, qui s’épanouit sur in te sperávi comme en un cri par lequel l’âme, avant de l’invoquer, remet le Seigneur en présence de la fidélité qu’elle lui a gardée. Le ralenti des derniers neumes et la cadence sur la  gardent à ce rappel ardent son caractère de supplication.
C’est une heureuse transition à la prière humble qui revient au début de la seconde phrase sur Sálvum me fac. Sur ómnibus persequéntibus le motif de sperávi s’élève à nouveau ; la montée, ralentie par un torculus allongé et un porrectus, s’adapte bien à l’ardeur de la supplication qui se poursuit dans le grave sur la même thésis que sálvum me fac. Alors pour la troisième fois le motif de in te sperávi monte avec ardeur sur libera me, comme un cri de détresse qui se détend ensuite doucement sur les neumes du jubilus.
Il y a dans ce verset un mélange de discrétion et d’audace qui est bien l’attitude de l’âme en peine devant le Seigneur infiniment bon et infiniment grand aussi.
Chantez dans un mouvement de prière très simple et très lié. Ralentissez les quelques notes qui précèdent le quilisma de Dómine, mais par contre ne retenez que très peu meus qui doit rejoindre in te sperávi où s’achève l’idée. Marquez bien les trois podatus qui montent en arsis. Même liaison étroite entre fac et omni dans la seconde phrase.
La vocalise finale de me sera très liée et très thétique.

OFFERTOIRE

LE TEXTE

Seigneur, reviens et délivre mon âme, Sauve-moi par ta miséricorde. Ps. VI. 5.

Ce verset que David chantait lorsque le Seigneur détournait de lui sa face est ici une émouvante paraphrase de la parabole des invités au banquet, lue à l’Évangile. L’âme a conscience d’avoir souvent refusé les invitations à ce banquet du Seigneur, qu’il ne faut pas seulement entendre ici de la communion Eucharistique mais de tout entretien d’amour avec les divines Personnes résidant en nous. Les derniers mots lui donnent sans doute à réfléchir : «  aucun de ceux qui avaient été invités ne goûtera de ma table ». Ce n’est pas qu’elle ait peur de perdre à jamais le Seigneur aimé, elle n’est pas de ceux qui ont refusé définitivement, elle ne l’a fait que par faiblesse ; mais elle sent en elle des liens qui la lient à mille choses et elle a tant de peine à les briser… Elle appelle à son aide la miséricorde du Seigneur qui comprend si bien ? Reviens, et délivre-moi…

LA MÉLODIE

Il n’en saurait être de plus simple ; un tenue sur le fa avec quelques broderies à la tierce, c’est tout. Pas d’angoisse, pas de pression non plus ; l’âme sait bien au fond que la parole terrible n’est pas pour elle. Aussi est-ce sur un ton d’intimité, nuancée de joie, qu’elle parle au Seigneur.
Dans la première phrase le mot éripe est délicatement mis en relief par les deux torculus – le second allongé – avant la cadence, si expressive d’une paix heureuse. Dans la seconde, c’est propter misericórdiam tuam sur une formule pleine de sérénité.
Chantez dans une grande simplicité. Il faut seulement accentuer délicatement, bien rythmer, et élargir la dernière incise en faisant une légère pression sur le pressus de propter.

COMMUNION

LE TEXTE

Je chanterai au Seigneur qui de biens m’a comblé. Et je chanterai des Psaumes au nom du Seigneur le Très-Haut. Ps. XII. 6.

L’âme qui dans l’Offertoire demandait au Seigneur de revenir, a été exaucée. Le Seigneur est revenu, et il l’a invitée au banquet à nouveau. Il l’a même invitée en épouse. En ce moment, elle ne fait qu’un avec lui et comme elle sent en elle sa force libératrice qui agit, tout naturellement la joie reconnaissante monte à ses lèvres et elle chante.

LA MÉLODIE

Elle ne fait que moduler du commencement à la fin. Modulations hardies qui surviennent brusquement mais qui expriment ainsi, de la façon la plus heureuse, la progression de la joie dans l’âme.
Elle est d’abord très retenue, tout intérieure et comme contemplative sur cantábo Dómino ; l’âme jouit de son Dieu et semble ne chanter que pour elle et pour lui sa musique profonde. Brusquement, après la cadence en demi-ton, un intervalle majeur du VIIIe mode monte sur qui bona ; l’idée de tout ce qu’elle a reçu, et de ce qu’elle vient de recevoir, à l’instant même, dans l’Eucharistie, excite à ce point la reconnaissance de l’âme qu’elle ne retient plus son chant ; il monte, s’affirme – notez les notes doubles – s’éclaire d’une joie qui a comme besoin de s’épancher ; la cadence est encore en la mais les si b ont disparu et, d’autre part, toute impression de mineur en est écartée.
Sur cette idée de reconnaissance, l’enthousiasme jaillit. On le sent déjà dans les premières notes légères de la deuxième phrase. Sur nómini, il éclate, vibrant, et la mélodie monte aussi haut que peut monter la voix. Elle redescend sur les rythmes souples et légers de Dómini qui se courbent pleins de vénération et, toujours sans souci des modes, continuent à se courber gracieux et tendres et à se revêtir à nouveau de l’intimité contemplative sur la cadence en la de la fin, claire et aimable comme un sourire heureux.
Il n’y a qu’à suivre l‘expression pour être dans le juste mouvement.
Commencez assez doucement. La première note de Dómino et la quatrième, qui est la première du climacus, pourront être légèrement allongées. Etalez un peu la cadence de míhi.
La montée sur nómini sera très en élan : la première phrase de ni allongée et le torculus très arrondi ; se complaire sur Altíssimi.
 

Epître, évangile et préface chantés de cette messe, voir ici