Quatrième dimanche après la Pentecôte

La répétition de l’introït Dominus illuminatio mea

Table des matières

Commentaires des pièces de cette messe par Dom Baron.

IDÉE CENTRALE : La Providence. Dieu dispose tout avec force et douceur pour qu’à travers la béatitude des hommes qui veulent se laissez guider, se réalise sa gloire. Cette Providence se manifeste avec éclat dans l’histoire de David et de Goliath. L’enfant aux cheveux roux, choisi à un moment critique de l’histoire d’Israël, tue avec sa fronde le géant tout armé et sauve le peuple. Figure du Christ qui triomphera de Satan et sauvera le monde.
Il ne suffit pas toutefois d’être dirigé, il faut se laisser diriger, c’est ce que l’Église demande dans la Collecte : « Seigneur que le cours du monde soit pour nous paisible sous la conduite de votre Providence ».
Il restera les épreuves ; elles sont les inévitables fruits du péché mais St. Paul, à l’Épître, nous dit qu’il n’y a pas de proportion entre elles et la gloire qui les dépasse infiniment et qu’elles sont, comme toute chose, des moyens dont Dieu se sert pour notre béatitude.
Enfin, ce soin que Dieu prend du monde est illustré, à l’Évangile, par l’incident de la pêche miraculeuse. Le Christ conduit la barque au bon endroit et, là où ils ont pêché en vain toute la nuit, les apôtres prennent tant de poissons que leurs filets se rompent. Figure de l’Église qui, sous la direction du Christ et de Pierre qui le représente, s’en va prendre les hommes pour les amener à Dieu, leur Béatitude.

INTROÏT

LE TEXTE

Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qui craindrai-je ? Le Seigneur est le défenseur de ma vie, de qui aurai-je peur ? Ceux qui me persécutent, mes ennemis, ont trébuché et sont tombés.

Ps.S’il se dresse devant moi une armée, il ne craindra pas, mon cœur. Ps. XXVI. 1, 2, 3.

Le Psaume XXVI est un chant de confiance triomphante. Dans la lumière d’en haut, le Psalmiste a une conscience si vive de la force protectrice de Dieu autour de lui qu’il se laisse aller à un enthousiasme qui frôle la témérité.
Dans le cadre liturgique de ce Dimanche, consacré à la Providence, il n’y a rien à ajouter à ces deux versets. L’Église, éclairée par le Christ son chef, sait que tout est disposé pour la gloire du Père et, qu’en fin de compte quoi qu’il arrive, c’est elle qui aura le dernier mot. Elle le dit à la face de ses ennemis et de Satan leur chef, qu’elle voit, dans une vision proche ou lointaine trébucher et tomber les uns sur les autres.

LA MELODIE

Elle donne à ce texte déjà si expressif par lui-même un ton de confiance joyeuse, enthousiaste, vibrante, avec même cette nuance de défi que l’on trouve dans les élans de foi d’une jeunesse bouillante d’ardeur. Aussi bien, c’est l’Église éternellement jeune qui chante l’infinie puissance de son chef ; le vainqueur de la mort et de Satan.
Des notes longues, sans cesse ramenées au fa par la tierce inférieure, donnent à la première phrase une force extraordinaire. Il n’y a pas d’éclat ; c’est une volonté qui se pose, assurée, ferme comme une ligne infranchissable.
L’enthousiasme qui a déjà monté sur quem timébo s’élève plus ardent sur Dominus qui, au début de la seconde phrase, reprend à la quinte supérieure, le motif de l’intonation. Toutes les affirmations sur fa s’en trouvent renforcées, amenant, pour finir, cet admirable cri de fierté audacieuse, quelque peu téméraire même : a quo trepidabo ?
L’idée de la troisième phrase est autre : l’Église voit ses ennemis défaits. Elle se laisse aller à la joie, une joie qui est débordante, dès le début, sur qui tribulant ; le motif qui glorifie le Christ dans le verset du Graduel Christus factus est, le Jeudi Saint .
Elle se revêt ensuite d’une autorité et d’une force qui, sur les notes longues de mei et de infirmati sunt a quelque chose de dur, comme l’épée du vainqueur sur l’ennemi prosterné.
Le Psaume est dans le même esprit de confiance et de bravoure.

GRADUEL

LE TEXTE

Sois propice, Seigneur, à nos péchés afin qu’elles ne disent pas , les nations  : Où est leur Dieu ? Verset. Aide-nous, Dieu notre salut, et, pour l’honneur de ton nom, Seigneur, libère-nous. Ps. LXXVIII. 9, 8.

Le Psaume LXXVIII est une élégie sur la destruction de Jérusalem. Pour finir, le peuple désolé, qui voit dans cette épreuve le châtiment du péché, supplie le Seigneur de lui pardonner et de le délivrer.
C’est de cette supplication qu’est fait ce Graduel. Il est chanté une première fois, le samedi des Quatre-Temps du Carême. Il est tout à fait à sa place en cette période de pénitence. Ici de même après la lecture de l’Épître. Saint Paul nous dit  : « La création a été assujettie à la vanité, mais elle vit dans l’espoir qu’elle sera affranchie de la servitude de la corruption pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. » L’ Église demeure sur cette idée ; elle vit, dans cette servitude qui attache le monde à la vanité, la grande épreuve devant laquelle tout succombe et elle supplie le Seigneur, qui de tout tire son bien, de la dégager de cet esclavage et de le faire servir à sa gloire, selon les desseins de le Providence qui a bien disposé toutes choses et cela pour l’honneur de son nom, car il a promis.

LA MÉLODIE

C’est une très belle prière, humble, grave avec des accents d’intense ferveur.
L’intonation, quelque peu sombre, est admirablement adaptée à une demande de pardon. Sur la double note du début, comme sur la retombée de esto, la supplication vraiment monte de très bas, on sent l’âme courbée dans le repentir de ses fautes. Cette pression se développe sur le beau motif de Domine, presque exclusivement réservé au nom divin , mais, discrètement, timidement. C’est seulement sur peccatis que la ferveur pousse la mélodie ; l’élan est alors admirable, très priant, émouvant même. Très vite arrêté, comme il convient à la prière humble, il se détend sur nostris en une cadence en demi-ton qui supplie délicatement.
Les phrases suivantes ne sont plus de la prière pure. L’âme plaide plus qu’elle ne demande. Elle fait valoir habilement les railleries des nations idolâtres qui monteront en fait vers le Seigneur s’il ne se décide pas à agir  : « Où est-il leur Dieu ? » Il y a quelque chose de plus vif dans la mélodie, sur dicant en particulier et sur gentes, mais sans éclat, comme en une atmosphère de honte.
Le mouvement est encore plus prononcé, plus dégagé, plus hardi sur ubi est ; l’insistance plus vive aussi – notez les deux notes doubles – mais l’attitude humble demeure, notamment sur la descente retenue de eorum.

Adjuva nos Deus monte comme un appel pressant qui devient peu à peu sur Deus noster comme un cri angoissé, et qui se détend ensuite en cadence empreinte de tristesse. C’est le motif qui chante l’exaltation du Christ dans le verset du Graduel Christus factus est ; il faut bien admettre qu’il se prête parfaitement ici à cette ardente supplication.
Vient ensuite, comme dans la première partie, le plaidoyer. Il est très insistant sur honorem ; notez les épisèmes horizontaux. Formule centon qui reçoit des emplois divers mais qui est ici fort bien adaptée car elle donne un relief considérable au mot qui fait la valeur de l’argument devant Dieu  : honorem, son honneur. Brusquement, sur nominis tui, la mélodie devient un récitatif tout simple. Il est d’un grand effet. L’âme, à l’évocation du nom divin, se fait à nouveau toute humble et pleine de vénération, et c’est dans une atmosphère de supplication discrète et pénétrée de repentir qu’elle chante le mot qui demande la délivrance : libera nos. Les notes longues, les épisèmes horizontaux, les répercussions de la finale y mettent l’accent peut-être le plus émouvant de toute la prière.

ALLELUIA

LE TEXTE

Dieu qui sièges sur ton trône et juges selon l’équité, sois le refuge des pauvres dans la tribulation. Ps. IX. 5, 10.

Le Psaume IX est une louange au Seigneur. Israël chante sa délivrance et remercie Dieu de l’avoir sauvé. Au verset 5 on lit  : « Tu m’as fait justice. Tu t’es assis sur ton trône, toi qui juges selon l’équité, »  et au verset 10 : « Le Seigneur s’est fait le refuge du pauvre, ».
En mettant les verbes à l’impératif on a transformé ce texte de louange en prière. L’objet en est le même que dans le Graduel : un appel au Seigneur pour que, délivrés de cette vanité du créé qui retient en nous l’épanouissement de la vie de Dieu, nous réalisions ce que Dieu veut de nous, dans sa Providence, pour sa Gloire et notre Béatitude.

LA MÉLODIE

Il faut évidemment la chanter comme une prière, en notant bien toutefois qu’elle n’est pas une supplication ardente comme le Graduel.
La première phrase est moins une prière proprement dite qu’un titre donné à Dieu, et la mélodie la traite comme telle. Deus a quelque chose de simple, d’aimable, on dirait bien de familier. L’incise de qui sedes super Thronum, elle, est comme une admiration de la majesté de Dieu. Prise par l’image évocatrice des splendeurs célestes, l’âme est comme fixée en contemplation. Elle oublie qu’elle demande et ce qu’elle demande, elle admire et jouit, berçant sa joie sur des rythmes souples qui montent et s’élargissent, à mesure que se déploient les beautés qui s’offrent à elle. C’est le même procédé que dans le Graduel Qui sedes du IIIe Dimanche de l’Avent. La formule n’est pas originale, on la trouve dans le verset du Graduel Benedictus, le Dimanche dans l’Octave de l’Épiphanie, elle est là aussi une contemplation de la paix et de la justice qui viendront des montagnes et des collines, sur le peuple. La même formule encore chante, dans le Graduel Clamaverunt de la messe Salus autem du commun de plusieurs martyrs, la paix qu’apporte le Seigneur à ceux qui sont dans la tribulation.
Dans la deuxième phrase, qui, elle, est bien l’exposé de la demande, la mélodie est vraiment déprécative, notamment dans la montée de esto et plus encore dans la descente de pauperum, retenue si à propos par l’influence du quilisma, mais la prière demeure simple et sans pression ; tout au plus pourrait-on déceler quelques accents plus marqués dans le jubilus sur les virgas des sommets.

OFFERTOIRE

LE TEXTE

Éclaire mes yeux, de crainte que je ne m’endorme dans la mort, de peur qu’il ne dise mon ennemi  : j’ai prévalu sur lui. Ps. XII. 4, 5.

Le Psaume XII est la prière d’un malheureux dans l’épreuve, qui se croit abandonné de Dieu. Il se plaint d’abord puis, de la plainte, jaillit la supplication dont est fait cet Offertoire : Éclaire mes yeux assombris, obscurcis par la tristesse, les soucis, les larmes… que je voie la force que tu es, ou alors le sommeil de la mort va venir et ce sera sur moi le cri de triomphe de l’ennemi  : Je l’ai vaincu.
Cet offertoire est chanté une première fois le samedi qui précède le Troisième Dimanche de Carême. Il fait suite, là, à l’histoire de l’Enfant prodigue et il est bien alors la voix du malheureux qui commence à se repentir.. et la nôtre. Ici on voit moins comment il s’adapte à l’Évangile de la pêche miraculeuse. On pourrait peut-être le mettre sur les lèvres de Saint Pierre. Celui-ci est en effet d’autant plus attitré à faire cette prière qu’il s’endormira hélas  ! à l’heure la plus dangereuse de sa vie et que, faute d’avoir les yeux ouverts, il se laissera prendre au piège de Satan jusqu’à renier son Maître. Mais sans doute est-il mieux encore d’en faire le chant de l’Église. Elle est symbolisée ici par la barque, le Christ et les futurs apôtres. C’est Notre-Seigneur qui les guide vers le large et leur fait jeter le filet au bon endroit. Sans lui point de pêche fructueuse et bientôt la tempête. Sans lui, maintenant encore, qu’en serait-il de la barque  ?
L’Église a conscience de la lumière qu’il lui faut. Elle la demande à Dieu afin que, guidée par sa Providence vers les bancs poissonneux, elle sache jeter le filet, éviter les écueils, tenir bon contre les vents forts et contraires et que, toujours en éveil, toute dans la clarté et forte de la force du Christ, elle tienne en respect l’ennemi et l’empêche de prévaloir.

LA MÉLODIE

La première incise est une prière toute simple sans insistance ni pression ; le ton est aimable, familier, avec une nuance de tendresse délicate sur la cadence en mi du IVe mode. La montée sur meos a un peu plus de mouvement, et une touche de crainte se perçoit déjà sur le demi-ton de la cadence en la. C’est la peur qui monte. Elle éclate sur nequando. Il y a sur la double note qui attaque brusquement le do – c’est une bivirga épisématique – comme un frisson ; il passe ensuite dans toute l’incise particulièrement marqué dans la descente de nequando sur fa et sur le pressus de obdormiam. Mais c’est sur morte que l’anxiété est le plus marquée ; la triple note du sommet – une trivirga dont les deux premières sont épisématiques – amenée par la clivis allongée, et la cadence sur mi font ce motif vraiment chargé d’angoisse.
Peut-être la frayeur croît-elle encore dans la seconde phrase ; il y a comme une répulsion d’horreur sur le motif de dicat, répété sur inimici, la triple note là encore, est une trivirga, les deux premières épisématiques.
Praevalui adversus eum est traité en style direct ; c’est l’ennemi lui-même qui parle. La mélodie qui descend, de plus en plus lourde, évoque la pression progressive de l’ennemi qui écrase son adversaire en disant lentement et avec un accent de joie mauvaise, à mesure qu’il le sent perdre vie, le mot de son triomphe  : Je l’ai eu … Cette descente est unique dans tout le répertoire. Quel réalisme ! La joie du vainqueur continue sur adversus eum, plus légère, mais bien marquée là aussi, par le mouvement du début do-fa-re-mi et surtout par les deux tristrophas encadrant le motif sol-la-sol-re. Il n’est pas jusqu’à la cadence du IVe mode, si mystique d’ordinaire, qui ne sonne ici comme un ricanement moqueur.

COMMUNION

LE TEXTE

Le Seigneur est mon firmament, et mon refuge, et mon libérateur ; mon Dieu, mon aide  ! Ps. XVII. 3.

Nous retrouvons pour finir cette messe la belle confiance du début. Dans la communion, l’âme a pris conscience de la force du Christ en elle, elle sent qu’il la protège, et que par lui, avec lui, en lui, elle surmontera les épreuves de chaque jour, et qu’elles finiront, ces épreuves, en poids de gloire. De cette certitude lumineuse, la joie jaillit en elle et pour l’exprimer, elle ne trouve pas mieux que les paroles, surchargées d’épithètes symboliques par lesquelles David remerciait Dieu de l’avoir protégé  : le Seigneur est le firmament qui la couvre, l’atmosphère où elle respire, le refuge où elle se cache; il est son libérateur ; celui qui lui permet, comme jadis au petit David, de vaincre le Goliath de toujours.

LA MÉLODIE

Une joie douce où passent les ardeurs d’une tendresse reconnaissante l’enveloppe toute.
L’intonation sur le nom divin est gracieuse. Tout de suite après, la ferveur se déploie en accents vifs et délicats sur les pressus de firmamentum, les quilismas de refugium et de meum ; elle va jusqu’à l’enthousiasme sur liberator meus ; un enthousiasme qui monte, retenu, mesuré avec les torculus et s’épanouit à loisir sur les deux pressus.
La seconde phrase est plus douce et plus tendre surtout le premier Deus meus. Admirable mot d’amour que l’âme adresse directement à Dieu et qui rappelle le Rex meus et Deus meus de la Communion Passer invenit du IIIe Dimanche de Carême. Adjutor meus, sur le motif de firmamentum meum renforce encore la protestation d’amour et l’achève en une cadence paisible et heureuse.

 

 

Epître, évangile et préface chantés de cette messe, voir ici