Joseph Haydn, l’homme et son oeuvre

Joseph Haydn vécut la fin de l’époque baroque alors qu’il était encoreenfant. A la même période, Haendel composait en Angleterre des opéraset ses grands oratorios, en Allemagne, J.-S. Bach s’adonnait à l’art ducontre-point, Domenico Scarlatti composait en Espagne de brillantessonates pour clavecin, et en France, Rameau créait de nouvelles formesstylistiques. A la fin de sa vie, le monde de la musique et des arts engénéral vécut l’explosion du sentiment dans une ère romantique initiéepar Beethoven. Entre les deux périodes, Haydn connut l’époque diteclassique dont il est l’un des plus illustres représentants.

 

Maître de chapelle

C’est dans un petit bourg de la Basse-Autriche, à Rohrau-an-der-Leitha, que Joseph Haydn naît le 31 mars 1732. Son père, maître charron, jouait de la harpe et sa mère, cuisinière chez les seigneurs du village, aimait à chanter accompagnée par son mari. A l’âge de six ans, il fut confié à un parent lointain, maître d’école à Hainburg, la ville voisine, lequel assura son éducation musicale. Ses premiers essais de composition datent du temps où il était soprano à la maîtrise de la cathédrale Saint-Etienne de Vienne, qu’il dut quitter en 1749, lorsque sa voix mua. Son seul maître en musique fut Nicola Porpora, le reste de sa formation musicale, il la puisa dans les traités théoriques de Fux, de Matheson et de C. Ph. E. Bach.

Engagé, en 1759, comme directeur de la musique du comte Morzin, qui avait pris connaissance de ses premiers quatuors, il commença à composer des symphonies. Amoureux de l’une de ses élèves, qui décida d’entrer au couvent, il se laissa persuader d’épouser la soeur aînée de celle-ci. Cette union ne fut pas heureuse, mais dura quarante ans.

Haydn est resté vingt-neuf ans au service de la famille princière Esterházy (à partir de 1761), tout d’abord à celui du prince Paul-Antoine, puis, dès 1762, de Nicolas 1er, dit le Magnifique. Nommé second maître de chapelle en 1761, puis premier maître de chapelle en 1766, il dirigea une troupe de chanteurs et d’instrumentistes qualifiés, mettant à profit ses talents d’interprète et de compositeur. Il réussit à donner un tel niveau à cet ensemble musical qu’il devint l’un des plus célèbres d’Europe.

De sa rencontre avec le jeune Mozart pendant l’hiver 1781-1782, naît une amitié exceptionnelle, malgré leur différence d’âge de vingt-quatre ans. L’influence musicale qu’ils ont exercée, de toute évidence, l’un sur l’autre, témoigne de l’admiration réciproque qui lia les deux compositeurs.

Haydn, qui accédait peu à peu à la notoriété, voyait ses œuvres jouées, publiées et en touchait des revenus importants. En 1790, le prince Nicolas Esterházy mourut ; son fils, Paul Antoine, qui lui succéda, n’aimait pas la musique. Congédié avec les autres musiciens, le compositeur dut rentrer à Vienne. Il effectua son premier séjour à Londres (1791-1792), où l’accueil fut chaleureux.

A son retour dans la capitale, il rencontra le jeune Beethoven, à qui il donna quelques leçons. Ce dernier, contrairement à Mozart, ne développa aucune admiration pour Haydn et repartit, sans manifester d’intérêt pour le style de son maître épisodique.

Le patriotisme anglais avait marqué Haydn lors de son voyage ; il fut notamment impressionné par l’air national God save the King. Il en résolut d’écrire un hymne national autrichien pour l’anniversaire de l’empereur. Le 12 février 1797, « l’hymne de l’empereur » (encore l’actuel hymne national allemand) fut exécuté dans beaucoup de théâtres autrichiens.

C’est au cours d’un second voyage en Angleterre (1794-1795), où l’université d’Oxford lui avait déjà décerné le titre de docteur honoris causa, qu’il écrivit ses deux oratorios : la Création et les Saisons. Il reprit ensuite son poste de maître de chapelle auprès de Nicolas II. Sa renommée en Autriche était telle qu’on le considérait comme le plus grand compositeur de son époque. Il vivait alors retiré dans sa maison des faubourgs de Vienne, où il recevait visiteurs et amis, parmi lesquels Constance Mozart, le compositeur Carl Maria von Weber et la célèbre chanteuse Marianne von Genzinger. Haydn apparut pour la dernière fois en public lors d’un concert, le 27 mars 1808, où la Création fut unanimement acclamée. Cet oratorio fut représenté à Vienne, à Paris et à Londres; les musiciens de Paris firent fabriquer une médaille en or et la décernèrent à Haydn, tant était grand leur engouement.

En mai 1809, les troupes françaises occupèrent Vienne. Napoléon fit placer une garde d’honneur devant la maison du compositeur, dont les derniers jours n’en furent pas pour autant moins assombris. Le danger napoléonien avait été l’occasion de la composition de la Missa pro tempore belli (ou «In angustiis»). Haydn mourut le 31 mai de cette année.

{mp3}Haydn_Nelsonmesse{/mp3}

Extrait du Kyrie de la Missa in angustiis

Les cinq périodes de la musique de Haydn

L’œuvre de Haydn se divise en cinq grandes périodes. De 1760 à 1768, les premières années passées au service des Esterházy, le style symphonique du compositeur s’écarte alors du concerto grosso 1)   et de la sonate d’église pour inaugurer la structure quadripartite. Son style allia les influences de l’Autriche, de l’Allemagne du Sud et de l’Italie (Opera buffa, sinfonia). À cette époque appartiennent des divertimenti, les symphonies numéros 6, 7 et 8, Acis e Galatea (opéra, 1763).

Entre 1768 et 1773, Haydn subit l’influence allemande du Sturm und Drang, son style est plus agité, plus grave. Les symphonies écrites pendant cette période adoptent souvent la tonalité mineure (Symphonie funèbre, Symphonie des adieux). Son style s’assombrit, s’approfondit et acquiert un plus grand raffinement intellectuel. Il composa pendant cette période un Stabat Mater (vers 1767), la Missa Sanctae Caeciliae (1769-1772) qui fait l’objet de concert, une œuvre profondément religieuse, les symphonies numéros 44, 49 et 52, le quatuor op. 20, la sonate pour piano numéro 20.

De 1773 à 1780, probablement exhorté par les Esterházy, Haydn revient à un style plus traditionnel et plus divertissant. Il ne compose aucun quatuor à cordes mais écrit une dizaine d’opéras (dont la Vera Costanza, 1776, et il Mondo della luna, d’après Goldoni, 1777) et des pièces religieuses décoratives.

Pendant les années 1780, Haydn délaisse les opéras pour la musique instrumentale : il compose alors les quatuors «russes», dédiés au grand-duc Paul, ainsi que les six Symphonies parisiennes, d’un style moins extérieur.

Dans sa dernière grande période d’activité, de 1790 à 1795, Haydn, marqué par les symphonies de Mozart, maîtrise parfaitement son art. Par ailleurs, ses voyages en Angleterre furent pour lui une grande source d’inspiration ; l’audition des oratorios de Haendel le poussèrent à en faire de même, d’où naquit la Création (1798) et les Saisons (1801) ; c’est aussi l’époque de la composition des douze Symphonies londoniennes et des six dernières messes, œuvres dramatiques où les instruments tiennent un rôle important propre à émouvoir l’auditeur : trompettes, cymbales, timbales, autant d’emprunts à l’orchestre symphonique qui font de ces messes des monuments d’émotion.

Avec ses 107 symphonies, 83 quatuors à cordes et 68 sonates pour pianoforte, c’est avant tout dans le domaine de la musique instrumentale que Haydn a contribué à l’enrichissement de la musique germanique et, plus généralement, de la musique occidentale. La découverte, vers 1750, des sonates pour clavecin de Carl Philipp Emmanuel Bach, qui avait mis au point cette forme musicale, fut déterminante pour celles de Haydn, composées tout au long de la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Haydn, inventeur de la symphonie et du quatuor

Haydn est considéré comme l’un des pères de la symphonie 2) et du quatuor, non pour avoir inventé ces formes musicales, mais pour les avoir marquées et amenées à leur perfection ; par le nombre et la qualité de ses compositions, il a déterminé, tant pour ce qui est de la forme que du fond, le style classique des deux genres. En fait, Haydn a bénéficié des recherches effectuées par ses prédécesseurs, ce qui lui permit d’établir très tôt une structure équilibrée et bien proportionnée, annonciatrice du classicisme musical.

Haydn et le quatuor

L’apport de Haydn au quatuor à cordes est tout aussi essentiel que sa contribution à l’évolution de la symphonie. A partir de 1780, le compositeur accorde moins d’importance au premier violon et évite ainsi que le quatuor ne s’apparente à un concerto de violon accompagné d’un trio à cordes. Alors que le développement central des allégros s’amplifie, les finals fugués, que le compositeur avait jugés trop prétentieux, laissent la place à un meilleur équilibre thématique entre les quatre instruments. La forme de l’ancienne suite disparaît très tôt pour se diviser en quatre parties, comme la symphonie. Ces innovations vont exercer une influence manifeste sur Mozart, Beethoven et Schubert, mais aussi sur toute la musique de chambre du XIXe siècle, comme en attestent les trios avec piano, les six dernières messes et les oratorios, notamment, et les quatuors à cordes op. 76, 77, 103.

Haydn et la musique religieuse

Le compositeur débuta à Vienne comme chanteur à la cathédrale jusqu’à l’âge de 17 ans. Il conserva toute sa vie un sentiment religieux profond, accordant tout naturellement une place de choix à la musique vocale. Les dernières messes (Nelsonmesse, Theresienmesse, Harmoniemesse) sont les plus émotionnelles de ses pièces religieuses; elles n’ont cependant rien à envier aux messes qu’il écrivit pour la cour de Nicolas Ier (Messe de Ste-Cécile, Messe brève – dite en l’honneur de saint Jean de Dieu – Messe Roráte cæli, etc.), moins dramatiques, plus joyeuses. Son œuvre est aussi émaillée de nombreuses petites pièces liturgiques. L’esprit est plus religieux que chez un Mozart, même , en général, si l’on ne trouve plus autant de profondeur spirituelle que dans la musique des deux siècles précédents.

La messe de sainte-Cécile

En 1766, Werner, le Maître de Chapelle du château d’Eisenstadt mourrait,  et Haydn, d’assistant qu’il était, devenait alors le Capellmeister principal. Le champ étant maintenant libre, il engaga plusieurs chantiers d’œuvres religieuses d’envergure. Le premier fut la «Missa Cellensis en l’honneur de la bienheureuse Vierge Marie», appelée aussi Messe de sainte-Cécile, la plus vaste des messes de cette première  période. Elle sera suivie en 1767 du Stabat Mater en sol mineur, qui, aux alentours de 1780, allait être une des premières œuvres à assurer solidement sa réputation internationale, en particulier à Paris. La Messe de sainte-Cécile sera utilisée à Eisenstadt et à Esterhaza pour les réceptions princières, lesquelles incluaient l’assistance à une messe festive. A une époque où la musique était instrumentalisée par le pouvoir au même titre que l’architecture, Haydn se devait de créer une musique d’un apparat non négligé. A l’entendre, on imagine l’effet produit par l’assistance de toute une cour princière à une grand-messe dans laquelle la musique met en évidence le texte sacré, proclamant la grandeur de Dieu et la petitesse de l’homme, une messe qui retrace bien l’esprit chrétien régnant autour de la Vienne de l’époque, trône catholique tant honni par les anti-cléricaux.

Ecoutes d’extraits de cette messe.

Sous les feux de la critique

Si Haydn a été beaucoup loué dès de son vivant, il ne faut pas oublier l’autre côté de la médaille. En effet, la seconde moitié du XVIIIe siècle était marquée par une agitation des esprits, non seulement en France, mais aussi en Allemagne, où le Nord protestant et porté à théoriser la musique (se fondant sur celle de Hasse, Graun, Bach, Quantz) avait déclenché une campagne de dénigrement contre le Sud catholique et plus pragmatique, campagne visant notamment les compositeurs autrichiens, puis, de plus en plus, Haydn en particulier. Les journaux répercutaient les idées et il est intéressant de saisir l’atmosphère dans les réponses des journaux autrichiens: «Récemment ont surgi en Allemagne des gens à préjugés qui se sont mis à critiquer violemment des choses dont pourtant la beauté va de soi; des gens qui, comme les inventeurs de l’Encyclopédie de Diderot, vivent dans une vallée à l’horizon bouché par les collines qui l’entourent. Si l’un d’eux se tenait sur une jambe et portait son regard au delà de cet horizon étroit, il s’écrierait: «Je sais tout; j’ai tout vu.» Mais s’il escaladait sa colline pour voir certaines choses de plus près, il dirait: «Je ne sais rien, je n’ai rien vu»… Ils osent condamner nos compositeurs sans en comprendre la première note, et n’en restent pas moins persuadés de posséder le monopole du bon goût.»

Haydn, l’homme

Haydn s’est marié sans amour et n’a pas eu d’enfant. Sa femme se désintéressait entièrement et de la musique et des occupations et du rang de son mari, allant jusqu’à utiliser les manuscrits de composition pour ses tâches ménagères. Haydn s’occupa en revanche beaucoup de ses nombreux neveux et nièces, les aidant financièrement et les recevant chaque année à un grand dîner de famille auquel il invitait toute sa parenté. Chaque invité repartait avec une petite somme et une invitation à revenir l’année suivante.

Au XVIIIe siècle, une œuvre de charité est créée à Vienne pour aider financièrement les familles des musiciens pauvres. Souhaitant faire partie de cette Tonkünstler Societät, Haydn pose sa candidature, mais juge excessives les conditions qu’on lui impose. Plus tard, en 1799, la société finit par reconnaître la valeur de Haydn et l’admet sans frais à titre de membre permanent. Il travaille sans relâche à recueillir des fonds pour cette œuvre. En l’espace de trois ans, le compositeur dirige des exécutions de ses deux oratorios, La Création et Les Saisons, qui rapportent des sommes très importantes aux bénéficiaires de la société. Sa générosité et sa bonté devinrent aussi légendaires que son génie musical à tel point que son entourage l’appela «Papa Haydn» à la fin de sa vie.

Fervent catholique, Haydn est un homme pieux. Il ne devint pas prêtre, comme sa mère le souhaitait, mais une partie de sa musique est destinée aux offices religieux et il inscrit au début de toutes ses compositions l’expression latine « ln nomine Domini » (Au nom du Seigneur) et à la fin, « Laus Deo » (A la gloire de Dieu). L’oratorio La Création, une de ses plus grandes œuvres, est vraiment inspirée. Haydn raconte que lorsqu’il y travaillait et qu’il sentait son énergie diminuer, il lui suffisait de se mettre à genoux et de prier pour se sentir à nouveau inspiré.   

  Bernard Lorber

Recensions de disques et écoutes d’extraits :

1) Concerto : pièce en plusieurs parties destinées à l’exécution en concert. Concerto d’église et concerto de chambre : suivant qu’il s’agisse de musique religieuse ou profane. Concerto grosso: deux groupes de musiciens s’opposent : le concertino (chaque instrument joue une partie propre), le concerto ou ripieno (tous les instruments jouent à l’unisson) – Retour

2) C’est vers 1720-1730 que J.-S. Bach nomme symphonie de grandes suites d’orchestre; c’est entre 1725 et 1746 que le Suédois Jean Agrell écrit et publie les premières symphonies qui répondent à la définition précédente; il est suivi de près par Telemann. Enfin, en 1734, à Milan, G.-B. Sammartini (17704-1774) écrit la première symphonie connue qui présente quelque ampleur; il est l’un des plus importants symphonistes par l’ampleur de son œuvre (72 symphonies).
Le style symphonique embrasse dès lors : le plan du premier morceau (sur un ou sur plusieurs thèmes, en forme d’ouverture, ou de sonate, etc.), l’ordre des morceaux (au nombre de trois, puis de quatre); la disposition orchestrale (parties instrumentales traitées dans le sens orchestral, non dans celui du solo ou du concerto); nuances d’exécution. Tout cela se trouve hors de Mannheim, où les musicologues allemands modernes ont entendu placer le berceau de la symphonie à orchestre, et avant Mannheim, car c’est seulement de 1741 à 1757 que le compositeur tchèque Jean Stamitz, qui y dirigeait la musique de la chambre de l’Électeur palatin introduisit de telles symphonies dans son orchestre. Il est l’auteur de vingt à trente symphonies qui obtinrent de brillants succès, grâce à leur élégance facile. Et c’est par lui que la France musicale est mise au courant de la nouvelle forme, car, venu à Paris en 1754 et 1755, il se fait entendre au Concert Spirituel, où l’on exécute de ses symphonies. Ainsi, Jean Stamitz est le maître de Gossec, le premier maître français qui écrivit des symphonies. – Retour